Madaba & Mont Nébo : Le souffle du vent
Kokoro no Michi – Le carnet de route de Maëva
Madaba & Mont Nébo, Jordanie — 18 octobre 2025
Après la poussière rose de Pétra et les étendues silencieuses du Wadi Rum, la route vers le nord m’a semblé presque verte. Les collines se font plus rondes, les villages plus rapprochés. J’ai quitté Wadi Musa avant l’aube pour rejoindre Madaba, une petite ville paisible à une trentaine de kilomètres au sud d’Amman. Ici, l’air sent la terre humide et l’olivier. Les pierres des maisons sont claires, et les rues bruissent d’une douceur que je n’avais pas ressentie depuis longtemps.
Madaba est célèbre pour ses mosaïques byzantines, et notamment pour celle de la carte de la Terre sainte, réalisée au VIe siècle, dans l’église Saint-Georges. Dès l’entrée, on marche sur l’histoire : des fragments de pierre colorée représentant les rivières, les montagnes, Jérusalem au centre du monde. Le guide explique qu’il a fallu plus de deux millions de tesselles pour composer cette carte. Deux millions de gestes patients, posés à la main. Je m’arrête un long moment à la regarder, fascinée par la précision du travail et par la symbolique : un monde vu d’en haut, créé pour les pèlerins d’autrefois.
En sortant de l’église, j’entends la cloche d’une autre paroisse, puis l’appel à la prière d’une mosquée toute proche. Madaba est un rare exemple de cohabitation harmonieuse entre chrétiens et musulmans. Les habitants le disent souvent avec fierté : “Ici, on prie côte à côte.” Ce n’est pas un slogan, c’est une manière de vivre. Et on le ressent. Les sourires sont calmes, les échanges naturels, les cafés sont pleins de familles mélangées. Il y a quelque chose de profondément humain dans cette simplicité.
En fin de matinée, je prends la route pour le Mont Nébo, à une dizaine de kilomètres. C’est un lieu biblique, celui d’où Moïse aurait contemplé la Terre promise avant de mourir. La route serpente entre les oliveraies et les champs de blé coupés. On croise des bergers, des ânes chargés de fagots, et parfois un camion bringuebalant transportant des pastèques ou des sacs d’herbes séchées. En approchant du sommet, le vent se lève et la vue s’ouvre peu à peu sur la vallée du Jourdain. Au loin, dans la brume, on devine la mer Morte et, plus loin encore, les collines d’Israël.
Le site du Mont Nébo est sobre, presque austère. Une église moderne protège les mosaïques anciennes retrouvées sur place. Elles montrent des animaux, des palmiers, des chasseurs — la vie, tout simplement. À l’extérieur, une grande croix de bronze s’élève face au paysage, inspirée du serpent d’airain biblique. Elle ondule dans le vent, mi-religieuse, mi-artistique. Je m’assois sur un muret pour observer le panorama. Autour de moi, des pèlerins prient en silence. D’autres prennent des photos, chuchotent, rient doucement. Moi, je me contente de respirer. Le vent souffle fort, apportant une odeur sèche, presque métallique. Je ferme les yeux et j’écoute : c’est le son du monde à découvert.
Plus tard, un moine franciscain m’accueille près du petit monastère. Il parle un français doux, un peu hésitant. “Ici, on veille sur la mémoire des lieux, pas sur la pierre.” Je note sa phrase dans mon carnet. Il me parle de la mission franciscaine, de la restauration des mosaïques, du passage incessant des visiteurs. Quand je lui demande ce qui le touche le plus, il répond sans hésiter : “Le silence du soir. Quand le soleil descend et que les gens sont partis, le vent est comme une prière.”
En redescendant vers Madaba, je m’arrête dans un atelier familial où l’on restaure et fabrique encore des mosaïques à la main. Une femme d’une cinquantaine d’années, Mariam, me montre comment elle taille chaque petit cube de pierre. Ses doigts vont vite, son œil ne quitte jamais le dessin. Je lui demande combien de temps il faut pour une œuvre complète. Elle rit : “Le temps qu’il faut pour bien faire. Et ça dépend du thé.” Autour d’elle, deux jeunes filles travaillent en silence sur un motif d’oiseau. Je ressens une admiration tranquille pour ces gestes qui traversent les siècles.
À la sortie, le soleil descend lentement. Les ruelles de Madaba s’emplissent d’odeurs : pain chaud, viande grillée, café turc. Je m’arrête sur une terrasse pour écrire et goûter un plat local : du mansaf, l’agneau cuit dans le yaourt séché, servi sur du riz. C’est riche, parfumé, réconfortant. Autour de moi, les conversations vont bon train. Un musicien accorde son oud, des enfants jouent dans la ruelle. J’observe tout cela avec le sentiment de me trouver dans un lieu où la vie et la foi cohabitent sans se heurter.
Ce soir, je dors à Amman. Le trajet est court, une trentaine de minutes. La capitale m’accueille avec ses lumières dorées et ses klaxons. De la fenêtre de ma chambre, je vois les collines s’étager comme des vagues figées. Demain, une journée de travail m’attend : repérages d’hôtels, rendez-vous avec une guide locale et mise à jour des circuits “Jordanie culturelle”. Mais pour l’instant, je garde en tête l’image de la croix du Mont Nébo et du vent dans les oliviers. Ce sont ces instants suspendus qui me rappellent pourquoi je fais ce métier : pour comprendre, pour raconter, pour relier.
今日の言葉 (Kotoba du jour) :
静けさは祈りのように — Shizukesa wa inori no yō ni
Le silence est une prière.
— Maëva Tanaka-Gauthier
心の道

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