En transit vers le sud : Route des roches et des vents, passage vers Pétra

Kokoro no Michi – Le carnet de route de Maëva

Wadi Rum, Jordanie — 16 octobre 2025

Wadi Rum, Jordanie | crédit photo Daniele Colucci

Je suis partie d’Amman à l’aube, dans une voiture au pare-brise couvert de poussière et de musique arabe. Le chauffeur, Youssef, m’a fait promettre de goûter au thé du désert dès notre arrivée. En quittant la ville, les collines dorées se sont effacées peu à peu, remplacées par des étendues pierreuses, puis par ce vide fascinant qu’on appelle ici le Wadi Rum. Six heures de route, ponctuées d’arrêts dans des cafés improbables où les portraits du roi sourient au-dessus des bouilloires cabossées.

Quand le paysage a basculé dans l’irréel, j’ai compris pourquoi on le surnomme « la vallée de la Lune ». Des montagnes rouge sombre surgissent de nulle part, ciselées par le vent comme des sculptures. Le silence y a une densité presque physique : on l’entend.

Mon campement pour la nuit est une série de dômes transparents plantés au milieu du sable. Les tentes sont climatisées — luxe discret, mais l’essentiel reste dehors : le désert s’étend à perte de vue, sans clôture, sans bruit, sans promesse autre que celle du présent. J’ai déposé mon sac, respiré profondément et senti cette paix rare que procure l’absence totale de repères. Les téléphones captent à peine ; le monde peut bien attendre.

Un guide bédouin, Salem, m’a accueillie avec un large sourire et une poignée de main ferme. Sa peau tannée, son foulard rouge et blanc, et ce regard tranquille de ceux qui connaissent le vent mieux que les cartes. « Le désert n’est pas vide, » m’a-t-il dit. « Il parle, mais doucement. »

Nous sommes partis en pick-up dans les sables rouges. Le moteur ronronnait tandis que le vent soulevait des nuages de poussière dorée. Salem s’arrêtait parfois pour me montrer un rocher à la forme étrange : l’un ressemblait à un éléphant, un autre à un pont naturel suspendu dans le vide. J’ai sorti mon carnet et noté : « Ici, même les pierres semblent raconter une histoire. »

Nous avons fait halte près d’un canyon étroit. Des gravures nabatéennes couvraient la paroi : chameaux, guerriers, symboles anciens. Salem m’a expliqué qu’elles datent de plus de deux mille ans. Je suis restée un moment devant ces traces, émue par cette idée que les voyageurs d’autrefois avaient gravé dans la roche le souvenir de leur passage — comme pour dire : nous étions là, nous aussi ; nous avons traversé.

En milieu d’après-midi, la lumière a changé. Le soleil s’est adouci, teintant le sable de cuivre. Nous avons pris le thé sous une tente en toile noire. L’eau bouillait sur le feu de bois, parfumée de menthe et de sauge du désert. Salem a versé le liquide ambré dans de petits verres et m’a dit : « Le thé, ici, n’est pas une boisson. C’est une conversation. » J’ai souri : cette phrase résume sans doute tout le Moyen-Orient.

Pendant que la nuit tombait, des étoiles sont apparues une à une, si nombreuses qu’on aurait dit un océan inversé. Le silence s’est épaissi, seulement troublé par le crépitement du feu et le chant lointain d’un dromadaire. Dans cette obscurité totale, je me suis sentie minuscule — et paradoxalement plus vivante que jamais.

Voyager, pour moi, ce n’est pas seulement collectionner des lieux : c’est apprendre à se taire, à observer, à sentir. À Wadi Rum, chaque souffle de vent est une leçon d’humilité. On comprend vite qu’on n’a pas besoin d’autant de choses qu’on le croyait.

Avant de regagner ma tente, Salem m’a montré comment repérer l’étoile polaire. « Quand tu es perdue, regarde-la. Elle t’indique toujours le nord. » Je l’ai fixée longuement. Dans un monde qui tourne vite, cette idée d’un repère immobile, inébranlable, a quelque chose de réconfortant.

En rentrant, j’ai marché pieds nus sur le sable encore tiède. La lune s’était levée, découpant des ombres douces autour des tentes. J’ai pensé à toutes les personnes que j’ai croisées ces derniers jours — Rania à Amman, Youssef sur la route, Salem ici — chacune m’ayant offert un fragment de son monde. Voyager, c’est tisser ces fragments jusqu’à ce qu’ils forment une carte du cœur.

Demain, je partirai tôt pour Pétra, mais ce soir, je laisse le désert me raconter ses secrets.

今日の言葉 (Kotoba du jour) :
風の声を聞く — Kaze no koe o kiku
Écouter la voix du vent.

— Maëva Tanaka-Gauthier
心の道

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